Le bruit de courant d’obscurité et les températures

Quand on s’intéresse au bruit et à la technique photographique, on lit parfois que la température influe sur la qualité de nos clichés et dans certaines situations c’est réellement le cas ! Dans cet article, nous allons découvrir une source importante de bruit et l’influence de la température sur sa présence. Préparez votre café, vos dolipranes et votre whisky, on va parler de bruit ! Encore une fois :D

Soyez préparé

Afin de combattre les forces du mal, vous aurez besoin de lire ces anciens manuscrits :D

La menace du courant d’obscurité

Comme expliqué dans le billet précédent, le courant d’obscurité (également appelé courant sombre ou courant noir ou dark current en anglais) fait référence aux courants de fuite qui accentuent la tension électrique des photosites. Ainsi, la valeur des pixels change en fonction de l’intensité du courant d’obscurité et comme vous le savez, ces variations forment le bruit de nos photos.

Le courant d’obscurité n’est donc pas seulement à l’origine des pixels chauds, mais également une source de bruit aléatoire que l’on appelle le bruit de courant d’obscurité. L’intensité de ces courants de fuite augmente avec la température de l’électronique et c’est pour cette raison qu’une augmentation de la température peut détériorer le rapport signal/bruit (RSB) de vos clichés.

Tout comme le bruit de photon, le bruit de courant d’obscurité est égal à la racine carré du courant d’obscurité :

  • Avec un courant d’obscurité de 10 électrons, le bruit de courant d’obscurité est égal à √10, soit 3.16 électrons

  • Avec un courant d’obscurité de 100 électrons, le bruit de courant d’obscurité est égal à √100, soit 10 électrons

  • Etc.

Lorsque vous faites de photos à main levée, le temps de pose est court et le bruit de courant d’obscurité a un impact négligeable sur le rendu de vos clichés et ce même si vous photographiez en basse lumière dans un environnement chaud. Mais lorsque vous faites des poses longues, le bruit de courant d’obscurité est la deuxième source la plus importante de bruit.

La lumière nous protégera

a) Beaucoup de lumière

Pour mesurer l’impact du bruit de courant noir et voir dans quels situations ce type de bruit pose réellement problème, j’ai effectué une série de tests en faisant varier la température du capteur de mon appareil. Pour ce faire, j’ai changé le temps de pose utilisé tout en veillant à récupérer la même quantité de lumière dans les deux clichés comparés.

Dans ce premier exemple, j’ai utilisé une sensibilité ISO de 100. La photo de gauche a été prise à f/4 avec un temps de pose relativement court de 8s alors que la deuxième photo a été prise à f/22 avec un temps de pose très long de 4 minutes (30 fois plus) :

Zoom 100%

Surprise ! Ici, on ne voit aucune différence en matière de RSB entre les deux clichés. En effet, la quantité de lumière récupérée était importante et le bruit de l’APN n’affecte pas l’image puisqu’il est noyé par le signal et le bruit de photon.

b) Très peu de lumière

Regardons un autre exemple où j’ai utilisé une sensibilité ISO plus élevée de 1600. Sur la photo de gauche, le temps de pose est de 0.5s et sur la photo de droite elle est 8 minutes 30 (1020 fois plus) . Afin d’équilibrer l’exposition et la quantité de lumière récupérée, j’ai utilisé un Filtre ND 1000 pour faire le deuxième cliché :

Zoom 100%

Ici, on voit une différence importante en matière de RSB. J’ai récupéré 16 fois moins de lumière que dans l’exemple précédent et l’impact du bruit de courant d’obscurité est à présent flagrant. Cependant, si on se focalise sur une zone plus exposée de l’image, on remarque que la différence est toujours visible, mais bien moins importante :

Zoom 100%

Grâce à ces exemples, on peut confirmer que la température peut bien nuire au RSB de nos clichés, mais seulement si le signal est suffisamment faible pour que le bruit de courant d’obscurité soit visible. En plus de la température environnante, l’électronique du boitier et les matériaux qui le composent vont influer sur la température de l’électronique et le bruit qu’elle génère. Il est donc difficile d’établir un seuil précis à partir duquel le bruit de courant d’obscurité devient problématique.

c) Signal vs courant d’obscurité

On peut également se demander si dans les situations où la lumière manque cruellement, il est préférable de rallonger le temps de pose ou de monter en ISO. En effet, nous savons qu’augmenter la quantité de lumière récupérée est bénéfique, mais nous savons également qu’une hausse de la température peut nuire au RSB. Dans ce dernier exemple, j’ai réduit d’un stop la quantité de lumière récupérée entre chaque photo tout en augmentant d’un stop la sensibilité ISO pour maintenir la même exposition :

En partant de la gauche : 480s et ISO 1600, 240s et ISO 3200, 120s et ISO 6400, 60s et ISO 12800, 30s et ISO 25600

On constate ici, qu’en rallongeant le temps de pose, le RSB s’améliore ; ce qui signifie que dans ces conditions le signal augmente plus rapidement que le bruit généré par l’APN. Rallonger le temps de pose est donc bénéfique, même dans les situations où il n’y a que très peu de lumière.

d) Analyse des résultats

Que conclure de ces tests ? Pour commencer, il faut comprendre que dans la majorité des situations, une hausse de la température de l’électronique n’aura aucun effet sur le RSB de vos clichés. C’est uniquement lorsque le signal est faible que la température peut devenir problématique. Dans ces situations, la meilleure manière de combattre le bruit sera, encore une fois, d’augmenter la quantité de lumière récupérée en utilisant soit une plus grande ouverture, soit un temps de pose plus important.

Cependant, dans les situations les plus extrêmes (très peu de lumière et/ou température élevée), il est conseillé de privilégier les grandes ouvertures puisque qu’une augmentation du temps de pose augmente le bruit de courant d’obscurité en même temps que d’augmenter le signal.

Astuce : l’utilisation du mode liveview augmente la température et l’intensité du courant d’obscurité. En limitant l’utilisation de ce mode, vous pouvez donc améliorer le RSB de vos clichés dans les situations de prise de vue difficiles.

e) Le matériel

Pour effectué les tests de ce billet, j’ai utilisé un Canon 5D Mark III dont les composants électroniques sont particulièrement bruyants. Comme vous avez pu le constater, même avec cet appareil, la température et le bruit de courant d’obscurité n’influe pas sur la qualité des clichés dans la majorité des situations. On voit effectivement une différence importante de RSB dans le deuxième exemple, mais il s’agit d’un cas extrême puisque l’on fait rarement des photos à ISO 1600 avec un temps de pose de 8 minutes 30.

Il faut également noter que l’électronique des APN s’est grandement amélioré ces dernières années réduisant ainsi l’intensité du courant d’obscurité dans les boîtiers modernes. De plus, depuis 2008, beaucoup d’appareils sont munis de la technologie de suppression du bruit de courant d’obscurité qui limite l’augmentation du courant d’obscurité et réduit la présence de bruit fixe.

Pour plus d’informations sur cette technologie, je vous renvoie vers un article de de Roger Clark (scientifique de la Nasa) :

On-Sensor Dark Current Suppression Technology
Dark Frames Are No Longer Necessary

Résumé

  • Une hausse de la température augmente la présence de courant d’obscurité

  • Le courant d’obscurité est à l’origine d’une partie du bruit électronique

  • Quand on fait des poses longues, le bruit de courant d’obscurité est la deuxième source la plus importante de bruit

  • Quand il y a suffisamment de lumière, on ne voit pas de dégradation du RSB lorsque la température augmente

  • Quand il y a très peu de lumière, la dégradation du RSB devient visible lorsque la température augmente

  • Rallonger le temps de pose est bénéfique puisque le signal augmente plus rapidement que le bruit de courant d’obscurité dans la majorité des cas

Conclusion

Nous voici à la fin de ce billet très technique ! Je sais que la majorité d’entre vous n’aurons jamais beaucoup de bruit de courant d’obscurité dans vos images, mais cet article s’adresse avant tout aux photographes de paysages nocturnes et aux astrophotographes. Dans ces conditions de prise de vue difficiles, connaître la source exacte du bruit et l’influence de la température sur son intensité peut être bénéfique et vous orienter vers une méthode de prise de vue plutôt qu’une autre. Et puis, je trouve que c’est toujours intéressant de savoir comment fonctionne nos boîtiers :D Comme toujours, j’espère que cet article vous aura plu et n’hésitez pas à me poser des questions en commentaire. Sur ce, bonne journée et bonne photo !


Sources :

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